Il est des objets dont on ignore tout mais dont on ne saurait se défaire, juste parce qu’ils ont appartenu à un être cher. S’en débarrasser ressemblerait à un manque de loyauté. Alors on le conserve dans un tiroir ou on l’entrepose sur une étagère pendant des années. On se promet qu’un jour, lorsqu’on aura plus de temps, on essaiera d’en savoir un peu plus…

Ainsi ma famille possède quelques médailles, plus ou moins anciennes, enrubannées ou non, certaines prestigieuses, d’autres pas du tout, mais témoignant toutes d’un pan de vie révolu…C’est au milieu de décorations militaires, de médailles du travail et de mérite agricole que j’ai trouvé une récompense bien mystérieuse.

Le prix de vertu Montyon

Il s’agit d’une médaille, en bronze ou laiton. Sur l’avers, le profil d’un homme âgé, certainement perruqué et portant un col plissé à faire pâlir d’envie un avocat. Son nom entier occupe la place généralement attribuée à un titre ou une devise : Antoine Jean Baptiste Robert Auget de Montyon est dans la place, qu’on se le dise. Et c’est à lui que l’heureux récipiendaire et sa descendance doivent gratitude et reconnaissance !

Au revers, sobrement gravée, figure le nom de l’Académie Française puis le prix, l’identité de la personne méritante et l’année : Prix de vertu, Marie Cadiot, 1924.

Deux questions viennent forcément à l’esprit : 

  • qui est Antoine Montyon ?
  • qu’a donc fait Marie Cadiot pour être récompensée de la sorte ?

Notre  bienfaiteur n’a jamais rencontré Marie Cadiot puisqu’environ un siècle les sépare. Le baron Auget de Montyon, amateur de belles âmes autant que de belles lettres, crée en 1782 un prix récompensant des œuvres de vertu et de courage. Il instaure une remise solennelle de la récompense avec discours élogieux sous la coupole de l’Académie Française. Quels actes héroïques les immortels apprécient-ils ? La Charité, l’abnégation, l’entraide… on approuve particulièrement un grand sens moral chez le peuple désargenté. Les candidatures proviennent généralement de municipalités ou de paroisses souhaitant mettre à l’honneur un de leurs concitoyens. En cette année 1924, les prix ont été attribués lors de la séance du 10 juillet et Marie reçoit  la somme de 800 francs. Malheureusement les archives de l’Institut de France ont conservé peu de dossiers de cette période et je n’ai pas retrouvé le motif d’attribution de ce prix de vertu.

Marie Cadiot, domestique

Marie Cadiot a en effet laissé peu de traces dans l’histoire. Sa discrétion est telle qu’au cours de mes recherches,  j’ai failli m’égarer plusieurs fois sur de fausses pistes. Ma première réflexion attribue la médaille à mon arrière-grand-mère Marie Françoise Cadiot. Élever 7 enfants dans les marais de Brière, pendant que son homme fait la guerre, cela demande du courage après tout. Mais une plongée dans la presse locale de l’époque me montre mon erreur, ainsi que celle de ses contemporains. Marie la Vertueuse n’est pas une défunte veuve Cadiot comme l’affirme d’abord un journal, ni mon arrière grand mère, mais sa sœur Marie Josèphe :

coupure de presse Le phare de la Loire 1924
Dans un premier temps le Phare de la Loire du 07/12/1924 se trompe de Marie Cadiot…
coupure de presse annonçant le prix de vertu
…Mais le journal d’Ancenis rectifie la vérité le 21/12/1924

Marie Josèphe Cadiot est née à Rieux dans le Morbihan le 17/03/1877. Son père Joseph est journalier et sa mère Marie Louise ménagère.  Marie n’a que 10 ans lorsque son père meurt. Sa mère est alors enceinte de leur cinquième enfant. Valentine naît orpheline mais ne survivra guère plus d’un an. Théodore, Yves et Marie Françoise ont respectivement 8, 5 et 2 ans.

Comment la famille s’organise-t-elle pour vivre ? On peut imaginer que Marie Josèphe garde d’abord ses frères et sœurs à la maison puis entre rapidement en apprentissage, pour soulager sa mère par un deuxième salaire, le temps que les plus jeunes soient en âge de gagner leur pain. Plus tard, Théodore devient terrassier mais meurt dès 1910, Yves reste à Rieux où il est charretier et Marie Françoise part à Saint Nazaire occuper un emploi de lingère.

Le journal Ouest Eclair nous apprend qu’en 1924 Marie Josèphe est domestique chez Mme Boussier depuis plus de 30 ans. C’est donc vers 1894, à l’âge de 17 ans, qu’elle entre au service de cette famille de commerçants d’Ancenis, en Loire Inférieure. Lorsque Omer Boussier et son épouse l’embauchent, trois enfants animent déjà la maison rue de Paris : Omer, 9 ans, Marthe, 8 ans et Marcel, 4 ans.

Au fil des listes de recensement, on assiste à l’évolution de la famille : le départ des aînés, le décès du père. Mais quel que soit le nombre d’habitants dans le foyer Boussier, le nom de Marie Cadiot termine l’énumération, avec l’indication de sa ville natale, son année de naissance et sa profession : domestique.

Un prix… et après ?

Les 800 francs octroyés en 1924 ne permettent pas à Marie de changer de situation car le recensement de 1926 indique qu’elle est toujours domestique chez Mme Boussier et son fils Marcel, au 1er de la rue du Président Wilson.

Madame Boussier décède en 1928. Marie Cadiot a alors 51 ans. Continue-t-elle à travailler pour l’un des enfants ? Si c’est le cas, elle y reste peu de temps. On retrouve sa trace aux archives départementales dans les actes civils du 31 août 1929, date à laquelle elle épouse Alexandre Émile Rondeau. Alexandre est forgeron à Ancenis. De 5 ans son ainé, il est veuf de sa première femme décédée l’année précédente, qu’il avait épousé à l’âge de 25 ans.

Le mariage est-il heureux ? Sans témoignage, il est difficile de le savoir. Mais ils semble que les épreuves de son enfance et une vie de labeur au service des autres aient ébranlé la volonté de Marie.

Les journaux transforment en fait divers le drame qui se joue le 3 mai 1934. Marie met fin à ses jours à l’aide de son tablier. Un accessoire lourd de symbole pour une ancienne cuisinière.

coupure de presse - mai 1934
Extrait du journal Le phare de la Loire – 04/05/1934

Il semble pourtant que jusqu’au bout Marie poursuivait sa tendre protection vis-à-vis de sa sœur Marie Françoise et surtout de ses neveux et nièces. Lorsque 3 des 7 enfants de Marie Françoise sont en âge de travailler, c’est à proximité d’Ancenis que Marcel, Louis et Marie Belliot trouvent un emploi, certainement accueillis par le couple Rondeau. Ainsi, bien après la mort de sa femme,  “le tonton Rondeau” participe aux réunions de famille, et la génération suivante l’intègre à ses discussions, sans bien situer qui il est… Car on ne parle pas du passé avec les enfants. Et la mémoire de Marie Josèphe Cadiot, sans une médaille, aurait été enfouie à jamais.

Un bouquet de branches pour mieux se repérer…

arbre généalogique de Marie Josèphe Cadiot
Arbre généalogique de Marie Josèphe Cadiot (Rieux, 1877 – Ancenis, 1934)

Remerciements