J’aimerais évoquer avec vous Charles Cassegrain. Cassegrain… comme les boîtes de petits pois ? Me direz-vous. Oui, justement, comme les petits pois et autres légumes que nous pouvons consommer en toute saison depuis près de 200 ans, grâce à Charles Cassegrain et aux autres pionniers de la conserve.

Charles Cassegrain naît le 19 mai 1831 à Arthenay près d’Orléans. Il est le douzième enfant de la famille. Son père Pierre est aubergiste a du mal à faire vivre cette progéniture. Dès l’âge de 13 ans, on envoie Charles à Paris pour apprendre le métier de charcutier. Il a 25 ans lorsqu’il épouse Clarisse, une jeune femme d’origine nantaise. Le couple s’installe à Nantes, au 11 rue des Carmes précisément, à quelques pas du château des ducs de Bretagne. Ils tiennent une charcuterie et leur premier fils Léopold ne tarde pas à voir le jour.

Nantes et la conserve : une vieille histoire…

A cette époque la région nantaise fait figure de pionnière en matière de conserverie.

Depuis le Moyen Age, on y prépare et on fait commerce de conserves de sardines, confites dans du vinaigre ou du beurre.

Et c’est en 1824 qu’un certain Pierre Joseph Colin installe la première conserverie industrielle. Il est le fils d’un confiseur qui, dit-on, a rencontré Nicolas Appert lui-même. Quoi qu’il en soit, le fils transforme l’échoppe familiale en fabrique. Dans sa Conserverie, installée près du port de Nantes, on y produit des poissons, bien sûr, mais aussi des légumes, des viandes, des plats cuisinés. Il améliore le procédé traditionnel en remplaçant le beurre par de l’huile d’olive, qu’il sélectionne avec soin pour sa qualité et son goût : il la fait spécialement venir de Bari en Italie.

Il adopte le contenant en fer blanc, que des marins ont rapporté des Pays Bas et d’Angleterre.

Colin ouvre la voie à de nombreux industriels, dont bien sûr Charles Cassegrain.

Alors qu’en 1852 Nantes comptait 5 manufactures de conserves, la ville en compte 5 fois plus quarante ans plus tard. Sur tout le littoral breton, on dénombre près de 150 usines, qui emploient principalement des femmes. Elles sont, parait-il, plus habiles pour bien agencer les poissons dans une boite ou écosser des petits pois.

Cassegrain : les débuts d’une entreprise familiale

Cassegrain décide de se lancer lui aussi dans la fabrication de converses. Puisque Nantes se situe en au cœur d’une région maraîchère, cela lui permet de mettre en bocaux des produits frais, très rapidement après la cueillette.

En 1867, il participe à l’exposition universelle qui se déroule à Paris. Il présente ses légumes en bocaux et se fait enfin un nom parmi les 52 000 exposants. L’année suivante, Cassegrain se spécialise dans la conserve de légumes et les salaisons. Pour cela il fait construire une première conserverie de légumes à Saint Sébastien sur Loire, aux portes de Nantes, puis de nouvelles usines voient le jour, à Saint Guénolé, Croix de Vie, Noirmoutier…

Ancienne affiche de la marque Cassegrain représentant une femme en costume breton
Panonceau lithographié illustré d’une Bretonne. Imp Camis. 24,7 x 41,7cm

Les archives de Loire Atlantique conservent de nombreuses marques de fabrique déposées par Charles Cassegrain, la société Cassegrain père & fils ou la Maison Cassegrain : sardines les Excellentes, sardines des Nations, des bonnes tables, Le patriote en 1919 et même un slogan en 1930 clamant comme une prière divine : “Que Cassegrain nous conserve”

L’appertisation

Mais on ne peut retracer le parcours de la famille Cassegrain sans comprendre l’innovation que représente cette nouvelle méthode de conservation des aliments.

Un homme est à l’origine de ce procédé. Un touche-à-tout du nom de Nicolas Appert qui va, à force d’expérimentation, révolutionner nos assiettes.

Révolutionner est bien le mot puisque nous sommes à la fin du XVIIIe siècle, à Ivry sur Seine dans la région parisienne. Nicolas Appert qui est lui aussi fils d’aubergiste s’installe à son compte en tant que confiseur. Il maîtrise donc le procédé qui consiste à conserver un aliment en le faisant confire dans le sucre (quand il s’agit de fruits) ou dans la graisse (pour la viande essentiellement).

A l’époque on connaît d’autres méthodes de conservation : on mange des salaisons, des produits fumés, séchés ou encore fermentés, mais toutes ces techniques transforment le goût de l’aliment et surtout altèrent leurs propriétés nutritives.

Et justement, en 1795, Nicolas Appert met au point le procédé qu’on appellera plus tard l’appertisation : il chauffe les aliments au bain-marie à 100°C, dans des bocaux en verres hermétiquement fermés. Nous sommes 60 ans avant la découverte des bactéries par  Pasteur, Appert ne sait donc pas précisément pourquoi son invention fonctionne, mais cela fonctionne, les bocaux qui ont en fait été stérilisés, conservent le goût des aliments et surtout leurs qualité nutritionnelle pendant des mois. Cela intéresse les marins qui souffrent du scorbut par manque de vitamines lors de leurs voyages au long court, et cela intéresse les armées, qui doivent stocker de grandes quantités de nourriture pour ravitailler les troupes.

Et c’est à l’occasion d’un concours organisé par l’Etat pour le ravitaillement des armées que Nicolas Appert se fait connaître. Il présente sa solution et gagne le concours ! Est-ce le début de la gloire ? oui et non… Oui, le procédé de l’appertisation est publié à grande échelle : en 1810, son ouvrage intitulé L’art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales est publié à 6000 exemplaires.

Mais, est-ce un choix assumé ou une erreur, Nicolas Appert ne dépose pas de brevet pour son invention. C’est un autre français, Pierre Durand, qui habite en Angleterre et qui va obtenir du roi George II un brevet pour une méthode de conservation des aliments… Il remplace les bocaux de verre, lourds et fragiles, et les bouchons de liège peu fiables par des récipients en fer étamé, ce qu’on appelle également fer blanc. C’est la naissance de la boîte de conserve.

Ce nouveau système prend rapidement son essor. Dès 1810 on crée des conserveries de sardine sur la côte atlantique, au fil du XIXe siècle des marques apparaissent : Cassegrain, bien sûr, mais aussi Saupiquet, et le phénomène dépasse les frontières de l’Europe et se répand sur toute la planète, jusqu’en Australie et aux Etats Unis. Les Etats Unis où, en 1898, la société Campbell vend 500 000 boîtes de soupe. Des réclames de ces boites s’affichent sur les tramways et rapidement la boîte de soupe Campbell devient un produit de consommation de masse, avant de devenir au XXe siècle une icône du pop Art grâce à Andy Warhol.

Le savez-vous ?
Les premières boites de conserves s’ouvraient au marteau et au burin ! Il faut attendre 1858 pour que l’américain Ezra Warner invente… l’ouvre-boite.

L’appertisation est une révolution pour la pratique de la conservation et donc pour l’alimentation des hommes, mais Nicolas Appert n’en profite guère. Il aura beau présenter d’autres inventions il va mourir ruiné. Il sera même enterré dans la fosse commune de sa ville, faute d’argent suffisant pour un enterrement digne de lui. Son neveu, Raymond Chevallier-Appert reprend le flambeau. Son invention, l’autoclave, permet une stérilisation parfaite, indispensable pour assurer la fiabilité de la conserve.

La marque Cassegrain après Charles

Léopold, l’aîné des trois fils de Charles, entre dans l’entreprise familiale en 1883. Après le décès de son père en 1902, il donne à l’entreprise un nouvel élan.

La société Cassegrain & Cie compte 4 actionnaires : Léopold, sa mère (qui décède quelques années plus tard), l’industriel Maurice Garnier et Albert Guillon.

L’activité est suffisamment florissante pour ouvrir une nouvelle usine de conserves à Concarneau, en 1906.

Travail du thon à Concarneau – dépeçage avant la cuisson
© Archives départementales du Finistère (2 FI 039142)

Mais Léopold prend peu à peu de la distance avec l’entreprise. Il se passionne pour la vie politique et à partir de 1900, il se présente comme conseiller municipal à Nantes, sur la liste Défense républicaine.  Il est élu et va poursuivre son ascension, dirait-on : il devient maire adjoint puis maire de Nantes en 1929 et se consacre à cette activité pendant 35 ans.

L’entreprise Cassegrain ? Il la quitte dès 1913 et cède ses parts aux frères Maurice et André Garnier. Cassegrain et Cie devient la Maison Cassegrain. La production se poursuit, se développe, en entretenant une réputation de qualité des produits, que ce soit les conserves de poisson, de légumes, mais aussi de viande  et de plats cuisinés.

Le savez-vous ?
Pendant la première guerre mondiale, Cassegrain participe à l’effort de guerre en ravitaillant les troupes en viande de bœuf en conserve, que les poilus qualifient de « singe ».

En 1966, 110 ans après sa création, Cassegrain et sa vingtaine d’usines entrent dans le groupe Saupiquet qui prend ainsi la première place sur le marché de la conserverie en France.

Pour aller plus loin

Nantes Patrimonia : Conserveries 

Becedia : 1824 : la première conserverie industrielle à Nantes 

Archives du Finistère : Le secteur maritime dans le Finistère : conserveries et coopérative maritime