Au début du XXe siècle, le verre se fait l’allié de deux innovations : l’éclairage électrique et les larges baies vitrées, bow window ou vérandas. Lorsque la fenêtre donne sur un panorama agréable, on opte bien sûr pour du verre transparent, mais si l’extérieur n’est pas digne d’intérêt, la verrière devient alors un élément de décor, une fresque lumineuse qui donne à la pièce entière une atmosphère particulière.

L’un des principaux dompteurs de lumière se nomme Jacques Gruber, un artiste verrier originaire de Nancy.

Jacques Gruber et l’école de Nancy

Car même si Jacques Grüber est né dans la commune alsacienne de Sundhouse en 1870, c’est un nancéen dans l’âme. Il n’a qu’un an lorsque ses parents s’installent dans la capitale lorraine. Adolescent il y apprend son métier auprès de Théodore Devilly, cartonnier d’un maître verrier. Son potentiel ne fait aucun doute et il obtient une bourse pour poursuivre sa formation à Paris, à la fois aux Arts décoratifs et aux Beaux-arts auprès du peintre Gustave Moreau.

De retour à Nancy en 1893 il obtient le poste de professeur de composition décorative à l’École des beaux-arts de la ville. Il rencontre de nombreux artistes et industriels locaux, se lie d’amitié avec certains. Ensemble, ils vont révolutionner les arts décoratifs en formant un mouvement connu sou le nom d’Ecole de Nancy. Citons parmi les plus célèbres de ses camarades :

  • Emile Gallé, à la tête d’une manufacture familiale de faïence et de verrerie
  • Louis Majorelle
  • Les frères Daum, créateur d’une marque d’envergure aujourd’hui internationale
  • Victor Prouvé, à la fois peintre, sculpteur et graveur
Mouettes
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Jean Schormans

Les verrières qui s’intègrent dans le mobilier ou l’architecture de ses amis font la renommée de Gruber. Pourtant cet artiste accompli déploie ses talents sous de multiples formes et techniques : décors pour des vases en pâte de verre avec Antonin Daum, dessins de meubles, reliures de cuir, céramiques, œuvres graphiques (affiches, menus, imprimés)…

Le savez-vous ?
A la fois artistes et industriels, les créateurs de l’art nouveau et en particulier les membres de l’école de Nancy, travaillent toutes les matières, s’intéressent à tous les supports, jusqu’à la photographie. Elle leur sert de document de référence pour leurs créations (plantes, insectes…) mais aussi de support de communication pour mieux faire connaitre leurs œuvres.

A partir de 1914, la guerre le force à quitter Nancy. Il installe son atelier à Paris où il habitera jusqu’à sa mort en décembre 1936. Mais c’est bien à Nancy qu’il faut se rendre pour comprendre l’importance de son œuvre. De nombreux bâtiments de la ville conservent fièrement leurs vitraux et verrières signés Gruber :

  • Le musée de l’école de Nancy, bien sûr, où l’on peut admirer six verrières
  • La chambre de commerce et d’industrie (5 vitraux datés de 1909 et représentant des filières industrielles)
  • Le Crédit Lyonnais conserve toujours son plafond de verre d’origine : 264 panneaux s’étendent sur une longueur de 23 m pour 8 m de largeur.
  • La brasserie l’Excelsior : les vitraux de Gruber s’associent au mobilier imaginé par Louis Majorelle et Antonin Daum pour créer un cadre majestueux
  • La villa Majorelle, première maison de style Art Nouveau à Nancy (1900) et dont les vitraux portent sa signature.

Toutefois une grande partie des parisiens s’émerveillent régulièrement devant une de ses œuvres, sans en connaitre l’auteur : c’est à lui que l’on doit la coupole des Galeries Lafayette, boulevard Haussmann.

Le verre et l’art Nouveau

Comme nous l’avons vu l’art nouveau ou « style 1900 » est un art complet : il s’invite partout dans la vie quotidienne. A l’intérieur des maisons (architecture, mobilier, vaisselle…), dans les bijoux (notamment les parures imaginées par Lalique), le mobilier urbain (réverbères et entrées du métro parisien signés Guimard), les affiches (qui ne connait pas les œuvres de Mucha ?)…

L’architecture du début du XXe siècle fait la part belle au bow-window. Ce type de fenêtre en avancée agrandit la pièce et apporte aux intérieurs une belle luminosité grâce aux larges baies vitrées.  En étage, on y installe des plantes en guise de jardin d’hiver.

Vol de mouettes
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

La révolution industrielle et la politique commerciale de l’époque nécessitent une part de mécanisation, pour pouvoir produire plus rapidement et en plus grande quantité. Les membres de l’école de Nancy adoptent donc ou mettent au point de nouveaux matériaux compatibles avec ce système de production.

Les œuvres qui en découlent sont :

  • Soit de l’artisanat de luxe, en pièces uniques ou en nombre limité d’exemplaires
  • Soit une production en série de produits courants, pour une clientèle plus élargie

C’est finalement la plus grande innovation de l’Ecole de Nancy : offrir une qualité artistique à un prix accessible grâce aux produits manufacturés.

En effet l’art nouveau se caractérise par la diversité des techniques employées mais aussi par la volonté d’un art pour tous.

Un art séculaire, une technique très personnelle

A quoi reconnait-on la « touche Gruber » ? Sans doute à son dessin et à la composition de ses vitraux. Il redonne un nouveau souffle au métier de verrier, né au moyen âge pour sublimer les églises gothiques.

Il superpose les feuilles de verre pour obtenir l’effet de lumière escompté. Il grave, peint la matière, donne forme aux baguettes de plombs pour souligner l’élément d’un paysage, la courbe d’un visage, la délicatesse d’un pétale.

Mais Gruber sait aussi se renouveler et s’adapter à son époque. Après la guerre il accompagne l’évolution des arts et des goûts en créant des œuvres de style art déco.

Le savez-vous ?
L’art Nouveau reflète l’esprit de la belle époque et ne survit pas à la 1re guerre mondiale. Dans l’entre-deux guerres, les années folles sont marquées par le style Art Déco. Le décor jusqu’alors tout en courbes, chargé, fait place à un style épuré où la géométrie est reine.

Un jardin de verre

Les formes du style art nouveau, inspirées à la fois de l’art japonais et de la nature, se montrent pures mais exubérantes, stylisées mais précises.

Nancy occupe alors une place importante dans le monde horticole. Sa Société Centrale d’horticulture, créée en 1877, est alors connue pour maitriser l’hybridation et la création de nouvelles variétés de fleurs. Les dessinateurs de l’atelier Gallé et l’équipe des frères Daum fréquentent assidûment le jardin botanique de la ville. Car la plante, modèle d’harmonie, inspire bien sûr pour les motifs ornementaux, mais aussi pour la création des formes si caractéristiques de l’art nouveau.

En tant que professeur, Jacques Gruber enseigne donc l’étude des plantes et leurs applications ornementales : l’école de Nancy prête en effet une grande attention à la formation des dessinateurs artisans qu’elle emploie.

Un siècle plus tard, l’hymne à la nature de l’école de Nancy fait preuve d’une modernité étonnante, du point de vue de l’intérêt de notre société actuelle pour l’écologie.