A M. Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, Etretat

Photo de la maison de Maurice Leblanc, auteur d'Arsène Lupin
Le Clos Lupin à Etretat : l’ancienne maison de Maurice Leblanc
abrite aujourd’hui un musée consacré à son célèbre personnage.

Cher Monsieur Lupin,

Ou puis-je vous appeler Arsène ? 

Cher Arsène,


J’aurais pu, comme dans vos aventures, vous envoyer cette lettre par la poste, sans inscrire d’adresse sur l’enveloppe. L’un de vos nombreux complices vous l’aurait transmise à coup sûr, n’est-ce pas ?

Mais voyez-vous, je préfère vivre avec mon temps et utiliser Internet. Je suis sûre que vous me comprenez. Pour mener à bien vos… disons vos projets, vous exploitez toutes les innovations de votre époque, le début du XXe siècle : bicyclette pour les repérages, mais automobiles, trains, sous-marin ou même aéroplane lorsqu’il s’agit d’aller vite. Pour rester en contact avec vos hommes, le télégramme et le téléphone. Et en cas de danger, une alarme électrique dans vos différents repaires !

Certes, vos activités ne sont pas très avouables, même si vous assumez fièrement vos forfaits, au point de les signer d’une carte de visite. Convenez-en, vous n’êtes pas vraiment Robin des Bois. Bien sûr, il vous arrive à l’occasion de sauver la veuve et l’orphelin, et même d’aider la police, pour peu que la veuve soit jolie, ou que vous y voyiez votre propre intérêt financier.

Et pourtant le public vous aime ! A votre avis, d’où vient une telle popularité,  en France comme à l’étranger ? Selon moi, votre succès vient de votre assurance, de votre joie de vivre, de votre faculté à faire ce que bon vous chante, quand cela vous chante. Jusqu’à changer de nom et de visage régulièrement. La vraie liberté, n’est-ce pas ?

Mais cette liberté ne s’accompagne-t-elle pas d’un peu trop de solitude ?

Le film Signé Arsène Lupin est l'une des nombreuses adaptations du personnage
Affiche du film Signé Arsène Lupin – Yves Robert (1959)

Vous savez, Arsène, je ne peux pas m’empêcher d’être un peu triste quand je pense aux sentiments de Maurice Leblanc à votre égard. 

Vos relations père/fils ont toujours été compliquées. Avec votre père Théophraste, avec vos enfants, Geneviève d’Ernemont et Jean d’Andrézy et surtout avec votre créateur.

Certes, il rêvait d’être reconnu pour ses tragédies. Mais votre succès a-t’il vraiment entravé sa carrière ? Après tout, est-ce votre faute si ses pièces ont été des fours ? Il aurait dû remercier ses muses de vous avoir donné le jour. Au lieu de cela, il vous traite de “poignard d’Ingres” et vous malmène au fil de ses humeurs. Les femmes que vous aimez meurent prématurément. Il vous envoie deux fois en prison. Il tente même de mettre fin à vos jours ! Mais devant l’insistance de ses amis, et peut-être pour payer ses factures, il accepte finalement de vous faire revenir sur le devant de la scène.

On dit qu’à la fin de sa vie, en 1941, il avait une peur maladive qu’un voleur s’introduise chez lui. Vous voyait-il ? Aviez-vous des discussions ensemble ?

En tout cas, vous lui avez survécu. Car vous aimez la vie plus que tout. Et le danger vous amuse. Au passage, vous nous régalez de dialogues truculents avec vos adversaires : le vieux Ganimard, Herlock Sholmes ou encore Isidore Beautrelet. Ce sont presque des partenaires de jeu, n’est-ce pas ? Avouez que vous les appréciez !

Vous avez donc poursuivi votre carrière, en utilisant les nouveaux supports mis à votre disposition : cinéma, télévision… Savez-vous que vous êtes une star au Japon et que vous avez inspiré plusieurs mangas et dessins animés ? Vous qui excellez dans l’art du déguisement, vous reconnaissez-vous dans les visages des différents acteurs qui vous incarnent à chaque nouvelle génération ?

Et qu’est-ce que cela vous fait lorsque d’autres auteurs comme Boileau Narcejac ou Michel Bussi prennent la plume pour vous redonner vie ? Peut-on les appeler, eux aussi vos historiographes ?

Mais sachez bien cher Arsène, que vous resterez toujours l’un de mes héros préférés et que que vos aventures ont construit mon imaginaire d’enfant.

Je vous souhaite encore de nombreuses vies.

Bien à Vous,

PS : S’il vous prenait l’envie de me rendre visite, je vous en prie, venez en gentleman et non en cambrioleur. Je n’ai malheureusement aucun bien de valeur digne de votre intérêt !

Pour aller plus loin…

  • Depuis 2012 l’oeuvre de Maurice Leblanc appartient au domaine public.Certaines nouvelles, romans et pièces de théâtre ayant Arsène LUPIN pour personnage principal sont accessibles en ligne sur : http://gallica.bnf.fr
  • Jacques Derouard, Maurice Leblanc : Arsène Lupin malgré lui, Paris, éd.Séguier, 2001, 2e éd. (1re éd. 1989, Séguier, coll. « Biographie »), 354 p., 21 cm (ISBN2-84049-211-3, notice BnF noFRBNF37638946)